Depuis quelques années sur le continent de jeunes entrepreneurs créent des poupées africaines pour inculquer l’amour de la peau noire dès le bas âge.
Taofick Okoya avec des poupées de sa collection, Nofi Media, 2017
Elle est dépassée, la période où les seules poupées vendues sur le marché africain étaient blanches, sveltes, avec des cheveux lisses. Un changement est impulsé par des jeunes, des défenseurs et défenseuses de la culture négro-africaine. Dans presque toutes les parties du continent, des fabricants de poupées noires se font remarquer.
Au Nigéria, Taofick Okoya est l’un des tous premiers à proposer une poupée noire compétitive face à la Barbie classique. En 2007, il a créé un concept dénommé « Queen of Africa » et veut transmettre aux jeunes nigérianes la fierté de leur histoire. Ces poupées sont aussi les héroïnes des livres éponymes qu’il produit. Chaque figurine est donc une femme qui a marqué l’histoire du continent. Ses poupées représentent pour lui une invitation aux petites filles africaines à être des femmes fortes qui peuvent changer la société.
En plus de « Queen of Africa » jugé un peu onéreux par apport au pouvoir d’achat local, la société de Taofick a créé « Naija Princesses ». Ces poupées sont vendues à 1000 naira (5 euros) dans les marchés du pays. Elles aussi sont les ambassadrices de la culture, mais essentiellement nigériane cette fois. La collection comprend 3 modèles de poupées qui représentent chacune les cultures Igbo, Yoruba et Haoussa, les 3 groupes ethniques majoritaires dans le pays. Elles sont habillées de vêtements traditionnels de ces groupes ethniques.
Les ventes comblent toutes les attentes de l’entrepreneur. Il écoule 6 à 9000 exemplaires par mois. Il trouve une clientèle qui avait soif de cette offre de poupée du terroir pour sa progéniture. Il exporte même ses articles en direction de l’Europe pour satisfaire la demande des noirs vivant dans ses pays.
L’homme raconte qu’il a eu l’idée de ces poupées quand il voulait offrir un cadeau à sa nièce. Il a fouillé des magasins de jouets mais n’en trouva aucune noire. Il s’est dit alors dit que les enfants africains ne pouvaient pas grandir en n’ayant que ces figurines blanches pour modèle. Il n’avait plus qu’a créer lui-même l’alternative africaine.
En Afrique du Sud, caroline Hlahla et Khulile Vilakazi produisent les poupées Sibahle, qui signifie « Nous sommes belles » en zoulou. Les jeunes femmes ont tenu à ce que leurs figurines ont des habits en tissus pagne et ont des cheveux crépus. « On a bien fait attention à ce que la texture des cheveux soit aussi proche que possible de celle des cheveux afros », explique Caroline Hlahla.
Sibahle prône aussi l’acceptation de la différence de l’autre. Dans la collection, les 2 femmes ont aussi pensé à des poupées métisses, albinos, et atteintes du vitiligo. Chaque enfant sudafricain peut ainsi trouver un jouet qui lui ressemble et ne pas se sentir trop différente des autres.
Poupées de la collection Sibahle, Twitter, 2019
Au Cameroun, Manuela Njomkam a également répondu à cet appel de valorisation et de conservation de la culture africaine. Elle a mis sur pieds l’entreprise « Muna Mboa » qui signifie « enfant du pays », en langue sawa. « Une poupée avec de traits négroïdes sur le visage et des cheveux crépus comme ceux des petites filles noires. Ces traits et ces cheveux, ont été et restent la particularité et la singularité des poupées que je crée » défend la Camerounaise.
La jeune femme, avec « Nubia Kemita » veut communiquer la fierté d’appartenir à la race noire. « J’ai toujours recherché des outils pour transmettre la connaissance du patrimoine historique et culturel africain à mes neveux et nièces tout en étant ludique sans avoir à les traîner chaque fois dans des musées » confie-t-elle. Transformer leurs jouets en outils didactiques a été pour elle la solution idéale. Elle élargie alors cette audience aux enfants du Cameroun et de France, où sont vendus ses poupées.
Les Nubia Kemita de Manuela Njomkam, 2018
Dans plusieurs autres pays, les poupées noires font leur apparition. Des rencontres de valorisation de ce nouvel atout culturel se créent. Au Sénégal, le Salon international du jouet éducatif et de la poupée noire se tient depuis 2017 et regroupe les artisans de tout le continent. Dans des pays européens, où l’on retrouve une communauté importante d’Africains comme la France, entre dans la danse des poupées noires. Depuis 2013, le Salon de la poupée noire de Pantin permet aux créateurs africains d’étendre leur clientèle.
Le combat de l’acceptation de la couleur de sa peau chez les Africains est un sujet primordial pour mettre fin au complexe face aux autres races. Ces idées néfastes sont désormais combattues depuis l’enfance grâce aux poupées noires. Debbie Garrett, passionnée de poupées noires, historienne des poupées et auteure déclare à ce sujet qu’« Il est très important que les enfants se voient dans les jouets, dans les livres et dans les médias. Cela aide à développer l’amour-propre et empêche l’idée fausse qu’il n’y a qu’une seule norme de beauté d’entrer dans leur esprit impressionnable. »
Un combat idéologique mais aussi économique car chaque année à la période des fêtes de fin d’année, le fabricant de poupées blanches encaissent des millions. Un business juteux qui s’africanise progressivement.